ENTRETIEN


Juge
J. Ernest Drapeau

B.A. 1971
Lauréat de l'Ordre du mérite 2018

L’alUMni se réjouit d’avoir attribué l’Ordre du mérite 2018 à Monsieur le juge J. Ernest Drapeau, dont l’impressionnant parcours est marqué du sceau de l’excellence. Le juge Drapeau s’est illustré de façon exceptionnelle tout au long de sa brillante carrière de juriste, qui s’étend sur plus de quatre décennies. Il a grandement contribué à la profession juridique et à l’avancement du droit et de la justice au Nouveau-Brunswick. Il est l’auteur d’un grand nombre de décisions de grandes incidences pour les Néo-Brunswickoises et Néo-Brunswickois, notamment dans le domaine des droits linguistiques.

De 2003 à 2018, le magistrat a occupé les fonctions de Juge en chef de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, soit le tribunal de plus haute instance de la province. L’éminent juriste a été un chef de file dans la promotion d’un meilleur accès à la justice pour les citoyennes et les citoyens. Il a notamment rendu des décisions et mis en oeuvre des réformes procédurales qui ont amélioré l’accès à la justice en réduisantles coûts et les délais associés aux litiges.

Qu’est-ce qui vous a incité à choisir le droit comme domaine d’études après avoir obtenu votre baccalauréat ès arts à l’Université de Moncton en 1971?

Plusieurs facteurs ont exercé une influence sur ma décision : l’admiration de mon père pour la profession juridique; le rôle central joué par des gens ayant une formation juridique, notamment Pierre E. Trudeau et Louis J. Robichaud, dans l’élaboration d’un projet de société qui prisait la justice pour tous, y compris, et particulièrement,

les francophones en situation minoritaire; et l’encouragement de mon professeur de science politique à l’Université de Moncton, l’honorable Roger Savoie, lui-même avocat, à poursuivre mes études universitaires en droit.

Vous avez fréquenté l’Université de Moncton à ses premières années d’existence, à une période où l’Acadie revendiquait ses droits. Quels souvenirs en gardez-vous?

Je dirais que cette époque a engendré chez moi une ouverture d’esprit et une prise de conscience des enjeux dans une société en ébullition et en évolution, le tout dans un climat de tension, d’incertitude et, malgré tout, d’espoir. Je retiens également la grande qualité et le dévouement exemplaires des professeurs.

Vous évoluez dans la sphère juridique depuis plus de quatre décennies. Quels sont les principaux changements que vous avez pu observer dans l’exercice du droit au cours de ces années?

Le domaine juridique est méconnaissable. Les tribunaux judiciaires et administratifs doivent trancher un nombre grandissant de litiges. Tant la complexité que l’importance de ces litiges ont atteint des niveaux qui étaient imprévisibles au début de ma carrière. J’ai notamment à l’esprit les contestations, souvent fondées sur la Charte canadienne des droits et libertés, en lien avec des décisions gouvernementales. D’autre part, le nombre de femmes au sein de la profession et de la magistrature ne cesse d’augmenter, et il est fort heureux qu’il en soit ainsi. L’année passée, j’ai pris part à la nomination, pour la première fois dans l’histoire de notre province, d’un nombre égal de femmes et d’hommes au titre de conseillères et conseillers de la Reine. Enfin, la procédure dans les affaires civiles subit une cure de simplification qui, il est à souhaiter, continuera à améliorer l’accès à la justice.

Vous avez porté la toge 24 ans comme avocat et 20 ans au sein de la magistrature. Comment avez-vous gardé le feu sacré toutes ces années? Qu’est-ce qui vous anime?

Le sens du devoir. À titre de plaideur, la satisfaction personnelle occasionnée par la revendication éclairée, rigoureuse et intelligente des droits de mes clients. À titre de magistrat, le besoin obsessionnel de rendre, de façon intelligente, justice selon le droit.

« L’avenir me semble prometteur même si les avocats seront de plus en plus souvent appelés à résoudre les litiges par des moyens autres que les procès. »

Juge J. Ernest Drapeau

Quels éléments vous semblent essentiels pour évoluer dans la profession? Un conseil pour ceux et celles qui se prédestinent à une carrière en droit.

La recherche, la préparation, l’intégrité et le respect des autres, notamment les clientes et clients, le personnel au bureau et à la cour, les autres membres de la profession juridique et, surtout, les juges.

Que voyez-vous pour l’avenir de la profession d’avocat au Nouveau-Brunswick?

L’avenir me semble prometteur même si les avocats seront de plus en plus souvent appelés à résoudre les litiges par des moyens autres que les procès. La médiation et, le cas échéant, des procédures expéditives continueront à jouer un rôle grandissant dans la saine administration de la justice.

Vous vous êtes taillé une réputation enviable à l’échelle nationale en devenant vice-président du Conseil canadien de la magistrature. Que retenez-vous de cette expérience?

La sagesse, le leadership et l’intelligence exceptionnels de la juge en chef du Canada, la très honorable Beverley McLachlin, ainsi que la contribution incessante des juges en chef du pays dans l’élaboration, selon les moyens à leur disposition, d’une société plus juste.

Vous maniez le droit comme un virtuose. Quelles ont été les causes marquantes de votre carrière?

Chacune des décisions que j’ai rendues à titre de juge a été très importante, du moins en ce qui me concerne. Cela dit, l’affaire Moreau-Bérubé (destitution d’un juge de la Cour provinciale pour inconduite), l’affaire McGraw (confirmation de l’importance des droits linguistiques), l’affaire Gillis (infirmation de la condamnation d’un éminent avocat pour entrave à la justice) et l’affaire Oland (nouveau procès ordonné pour condamnation à la perpétuité en raison de parricide) constituent les causes les plus marquantes de ma carrière de magistrat. La liste n’est pas exhaustive.

Entretien avec Mathieu Vick
Lauréat du prix Émergence