Mars est le Mois de la nutrition au Canada et l’équipe de votre magazine Allumez a décidé de vous présenter un dossier sur un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre depuis le début de la crise du coronavirus : la sécurité alimentaire. La COVID a en effet mis en lumière nos forces en matière de sécurité alimentaire, mais également nos vulnérabilités.

Pour nous aider à mieux comprendre cet enjeu planétaire, nous avons demandé à la professeure-chercheure Sonia Blaney de l’École des sciences des aliments, de nutrition et d'études familiales de nous en brosser un portrait et d’aborder les répercussions connexes qui se font aussi ressentir à l’échelle régionale.

Définition

La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active.1

La sécurité alimentaire : Un enjeu mondial qui persiste

La faim dans le monde et la sécurité alimentaire ne sont pas de nouvelles préoccupations à l’échelle mondiale, mais les effets de la pandémie sur le secteur alimentaire et agricole sont venus exacerber ce problème de façon inquiétante et mettre en lumière les risques qui s’y rattachent et l’importance d’agir rapidement.

Lors d’un sommet historique des Nations unies à l’automne 2015, les États membres ont adopté à l’unanimité l’ambitieux Programme de développement durable à l’horizon 2030. Ils se sont entre autres engagés à atteindre l’objectif « Faim zéro » qui vise à éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable d’ici 2030.

Or, l’atteinte de cet objectif ne semble pas sur le point de se réaliser. Si les tendances récentes se poursuivent, les observateurs estiment que le nombre de personnes touchées par la faim pourrait dépasser 840 millions d’ici 2030.

En dépit des efforts déployés au cours des dernières décennies, le nombre de personnes souffrant d’insécurité alimentaire a augmenté à l’échelle mondiale pour atteindre un sommet de 2 milliards, en 2019. C’est en Afrique que l’on trouve la proportion la plus élevée de personnes, soit 52 %. Entre 2018 et 2019, on note une hausse à la fois sur le plan du nombre (85 à 88 millions) et de la proportion (7,6 à 7,9 %) en Amérique du Nord et en Europe2.

En ce qui a trait au droit à l’alimentation, le rapport du groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire3 souligne l’importance d’avoir une alimentation saine provenant de systèmes alimentaires durables. Cependant, force est de constater qu’un régime alimentaire santé et durable n’est certes pas accessible à toutes et à tous, comme le rappelle le dernier rapport de 2020 sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde.

De l’insécurité alimentaire à la souveraineté alimentaire

Il est essentiel d’avoir un système alimentaire durable qui vise justement à assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle pour toutes et à tous, particulièrement dans le cas des groupes plus vulnérables comme les jeunes enfants, les femmes enceintes, allaitantes et les personnes âgées.

Les efforts conjoints de divers secteurs, guidés par une vision commune, sont requis pour que toutes et tous profitent d’un système alimentaire constant qui se compose d’un ensemble d’éléments (p. ex., environnement, infrastructures, personnes, apports, institutions, etc.), ainsi que d’activités liées à la production, la transformation, la distribution, la préparation et la consommation des aliments et aux résultats de ces activités, notamment à l’échelle environnementale4.

En ajoutant la dimension de durabilité au système alimentaire, on vise à ne pas compromettre les bases économiques, sociales et environnementales nécessaires à la sécurité alimentaire et à la nutrition des générations futures5. Enfin, on s’attend évidemment à ce qu’un système alimentaire fournisse un accès physique et économique à une alimentation saine.

Malheureusement, les données récentes indiquent que dans plusieurs pays du monde, notamment en Afrique, une majorité de personnes n’ont pas accès à une alimentation saine. Au Canada, près de 1 % de la population n’aurait pas accès à un régime santé6.

Lors du Sommet mondial de l’alimentation de 1996, une composante sur la souveraineté alimentaire, qui a été présentée par La Via Campesina (un mouvement paysan international), indique comme étant le « droit des peuples, des collectivités et des pays, de définir des politiques adaptées à leur situation unique sur le plan écologique, social, économique et culturel dans les domaines de l’agriculture, du travail, de la pêche, de l’alimentation et de la gestion forestière. » Pour le rapporteur spécial des Nations unies, la souveraineté alimentaire est une condition à la réalisation du droit à l’alimentation7. Toutefois, force est de constater que cet idéal de nature socioéconomique et politique est loin d’être atteint, bien que plusieurs pays aient intégré cette composante dans leurs politiques8.

À l’échelle internationale, depuis 2014, la prévalence de l’insécurité alimentaire augmente9. Cette hausse est particulièrement remarquable en Afrique subsaharienne, mais aussi en Amérique latine et dans les Caraïbes.

Au Canada, les données les plus récentes montrent également une tendance à la hausse de la prévalence de l’insécurité alimentaire chez les ménages. Entre 2007 et 200810 et 2017 et 201811, cette proportion est passée de 7,7 % à 12,7 %, une hausse certainement non négligeable. Au Nunavut, cette augmentation se révèle plus fulgurante, passant de 32 % à 57 %. Le Nouveau-Brunswick ne fait pas meilleure figure : la prévalence de l’insécurité alimentaire a bondi durant la même période, passant de 9,6 % à 13 %*.

La résolution 73/16512, adoptée en décembre 2018 par l’Assemblée générale des Nations unies, reconnaît le droit des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales à définir leurs systèmes alimentaires et agricoles, droit reconnu par de nombreux États et régions comme le droit à la souveraineté alimentaire. Afin de respecter ce droit, les États doivent concevoir des politiques publiques, à différents ordres de gouvernement, qui visent à promouvoir et à protéger le droit à une alimentation suffisante, à la sécurité et à la souveraineté alimentaires, et à des systèmes alimentaires durables et équitables, en partenariat avec les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales.

L’accès économique aux aliments, le défi des ménages

Nul doute que l’insécurité alimentaire constitue une contrainte à un régime santé. Comme le démontrent les estimations récentes de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)13, l’accès économique aux aliments révèle un défi constant. Par exemple, au Sénégal, le coût journalier d’un régime santé pour une personne a été estimé à 3,01 $ US, mais 73 % de la population n’aurait malheureusement pas les moyens de se procurer des aliments sains. Bien qu’au Canada, le revenu par habitant soit plus élevé, le coût du régime santé est similaire à celui du Sénégal, soit de 3,08 $ US. Évidemment, la proportion de la population dans l’incapacité de se procurer un régime santé est moindre (0,7 %), mais de nombreuses personnes ne peuvent pas y accéder bien que selon le Conference Board du Canada, le revenu moyen en 2016 par habitant soit estimé à environ 42 000 $ CA14 par habitant. Cette proportion est toutefois probablement plus élevée au Nouveau-Brunswick, où le revenu moyen (33 582 $ CA)15 ne représente que 80 % du revenu canadien.

Au Canada, les données à notre disposition indiquent que le coût des aliments augmente, que ce soit pour la viande, les produits laitiers, mais aussi les fruits et les légumes. Ces coûts varient chaque année, bien que le revenu des ménages ne change pas : par exemple, le coût d’un sac de carottes (1 kg) a augmenté entre janvier et juin 2020, pour passer de 1,94 $ à 2,72 $16.

La banque alimentaire de la FÉÉCUM

Entretien avec

ALAIN LAVOIE

VP académique et co-responsable de la banque alimentaire

Le prix à payer à long terme

L’insécurité alimentaire a des répercussions sur la santé nutritionnelle, comme en témoignent les recherches. Elle augmente le risque de malnutrition en raison de son incidence sur la qualité du régime alimentaire (p. ex., qualité et quantité), ce qui aura des conséquences sur la santé et la qualité de vie des personnes, en particulier chez les groupes vulnérables.

En effet, le fait de ne pas bénéficier d’un régime santé augmente le risque de maladies chroniques, notamment le diabète, les maladies cardiaques et les cancers chez les adultes et personnes âgées17. Une alimentation inadéquate aura aussi des conséquences importantes, souvent irréversibles, sur la croissance et le développement des jeunes enfants aux besoins nutritionnels élevés, qui ne peuvent malheureusement pas cuisiner eux-mêmes leurs repas… tout comme pour certaines personnes âgées, d’où leur grande vulnérabilité. En outre, la malnutrition peut avoir des conséquences intergénérationnelles puisqu’une femme dénutrie, qui risque d’avoir des problèmes de santé durant la grossesse et lors de l’accouchement, sera plus susceptible d’avoir un bébé de faible poids dont la croissance optimale sera compromise lors de la petite enfance. Une telle situation peut amorcer des conséquences négatives sur le développement physique et cognitif de l’enfant, en plus d’augmenter le risque de maladies chroniques de ce dernier à l’âge adulte, perpétuant ainsi le cycle de la malnutrition. À l’échelle mondiale, les coûts de la malnutrition sur l’économie sont estimés à 3,5 milliards de dollars par année, soit 500 $ par personne18. Au Canada, la malnutrition chez les personnes se présentant à l’admission d’un hôpital engendrerait une augmentation entre 31 % et 38 % des coûts connexes, soit l’équivalent d’environ 1 500 $ à 2 000 $ supplémentaires19.

Transformer notre système alimentaire

Bien que d’autres facteurs comme les changements climatiques et les conflits soient en cause, la situation actuelle avec la COVID-19 a accentué le problème. L’avenir est sombre et il semble que la cible « Zéro faim » des objectifs de développement durable ne sera fort probablement pas atteinte en 2030.

Quelles sont les pistes de solutions? Selon les instances internationales20, une transformation des systèmes alimentaires s’impose pour que ces derniers puissent assurer à toutes et à tous un régime santé. Toutefois, chaque pays doit concevoir son propre modèle, d’où l’importance d’évaluer et d’analyser chacun des contextes. Pour les pays à revenus élevés, où l’apport en énergie est souvent excédentaire et au sein desquels les aliments d’origine animale prédominent, des changements à la production et au commerce des aliments sont recommandés, alors que dans les pays à faibles revenus, il faut prendre des précautions afin de ne pas bouleverser les moyens de subsistance des producteurs locaux.

Il n’en demeure pas moins que plusieurs actions devront être instaurées pour réduire le coût des aliments nutritifs et rendre ces aliments plus abordables.

Comment le faire?

(FAO et al., 2020)

Réorienter l’agriculture actuelle vers une production plus sensible à la nutrition. Autrement dit, produire des aliments nutritifs et bons pour la santé.

Revoir les subventions au secteur de l’agriculture pour qu’elles puissent permettre la production d’aliments nutritifs.

Mettre en place des chaînes de valeur orientées vers la mise en disponibilité d’aliments nutritifs. Par exemple, au lieu d’investir dans la production d’aliments transformés, instituer des investissements visant à augmenter l’entreposage, la transformation et la conservation des aliments pour que ces derniers conservent leur valeur nutritive.

Consentir des efforts pour diminuer le gaspillage des aliments et les pertes.

Revoir également les politiques commerciales et la publicité afin de diminuer le coût des aliments nutritifs.

Éviter de freiner la production locale d’aliments nutritifs.

Mettre en place des mesures pour diminuer la pauvreté et les inégalités en matière de revenus.

Le portrait du Nouveau-Brunswick

Au Nouveau-Brunswick, la notion d’un système alimentaire sain et durable fait déjà partie du décor (Réseau d’action sur la sécurité alimentaire du Nouveau-Brunswick, 2017)21. Cependant, pour concrétiser cette vision, certains défis devront être surmontés. Par exemple, au fil des années, le nombre de fermes en activités au Nouveau Brunswick a diminué, passant de plus de 25 000 dans les années 1950 à environ 3 000, en 2011. Environ 50 % de la population de la province habite en milieu rural, ce qui occasionne des défis en matière d’accès aux aliments santé abordables. Entre 2008 et 2016, la proportion de personnes ayant recours à une banque alimentaire est passée de 4 % à 28 %. Quant aux habitudes alimentaires, seulement un tiers des jeunes consommait cinq portions et plus de fruits et légumes, et 64 % de la population présentait un excès de poids ou de l’obésité. Le coût minimum mensuel d’un panier d’aliments nutritifs était estimé à 835 $ pour une famille composée de deux adultes et de deux enfants. En ce qui concerne le gaspillage alimentaire, bien qu’il semble ne pas y avoir de données pour la province, on estime qu’au Canada, une personne gaspille en moyenne environ 20 % des aliments qu’elle achète. Les compétences culinaires sont loin d’être un atout pour tous : en 2014, environ le tiers des personnes de 18 à 29 ans se sentait à l’aise dans une cuisine et 40 % des parents préparaient des repas à la maison.

Pour donner suite à ce constat, au Nouveau-Brunswick, une série de discussions22 s’est tenue dans la province pour améliorer la situation et déterminer des pistes de solutions qui s’apparentent à celle des instances internationales. Elles préconisent ce qui suit :

  • une optimisation du potentiel agricole et une indépendance alimentaire;
  • une éducation et une sensibilisation accrues de l’alimentation saine et son importance, ainsi qu’une augmentation des compétences culinaires;
  • une plus grande accessibilité à des aliments santé, notamment en milieu rural, ou encore une plus grande offre de ce type d’aliments;
  • un accès économique équitable aux aliments santé.

Sur le plan personnel, nous pouvons également faire des choix plus santé, autant pour nous que pour la planète. Afin de nous aider dans cette voie, nous avons quelques petites ressources à notre disposition, notamment le Guide des menus durables23 qui, bien que créé pour les services alimentaires des établissements de soins de santé, peut nous aider en ce sens.

CONCLUSION

Les instances internationales et provinciales proposent des mesures pour améliorer l’accès économique et physique aux aliments nutritifs afin de prévenir et diminuer l’insécurité alimentaire, et s’assurer que le droit à l’alimentation pour chacun est satisfait. Tout comme pour la Via Campanesa que pour le Réseau d’action sur la sécurité alimentaire du Nouveau-Brunswick, la souveraineté alimentaire est une condition à l’atteinte de la sécurité alimentaire. Nous avons la responsabilité, en tant que citoyenne et citoyen, d’agir et le pouvoir de le faire.

Allons-y, passons à l’action!

Sonia Blaney
professeure-chercheure à l’École des sciences des aliments, de nutrition et d'études familiales

Sonia Blaney oeuvre dans le domaine de la nutrition publique et internationale depuis plus de 25 ans. Entre 1992 et 2014, elle a été en charge d'un éventail de programmes / projets pour différentes organisations internationales non gouvernementales et pour l’UNICEF à différents niveaux, et ce, dans plusieurs pays d’Afrique et d’Asie.

Depuis juillet 2014, elle occupe un poste de professeure en nutrition à l'Université de Moncton où elle y enseigne notamment les cours de nutrition communautaire, d'application en nutrition, d’éducation en nutrition et de nutrition internationale aux personnes étudiantes de premier et de deuxième cycle.

Depuis juillet 2014, elle occupe un poste de professeure en nutrition à l'Université de Moncton où elle y enseigne notamment les cours de nutrition communautaire, d'application en nutrition, d’éducation en nutrition et de nutrition internationale aux personnes étudiantes de premier et de deuxième cycle. Sa recherche porte sur la nutrition des femmes et des jeunes enfants mais également sur le renforcement des capacités en nutrition avec une emphase sur les populations de pays à revenu faible et intermédiaire. Depuis son arrivée à l’Université de Moncton et grâce aux fonds de recherche qu’elle a pu obtenir, Mme Blaney a supervisé les projets de recherche d’une dizaine de personnes étudiantes inscrites aux études supérieures ainsi que les stages d’une quinzaine de personnes à l’international.

Source de financement principale : Programme de bourses canadiennes du jubilé de diamant de la reine Élizabeth II qui appuie la recherche sur le développement des leaders pour une meilleure nutrition des filles et des femmes en Afrique de l'Ouest et Centrale.

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