DÉMYSTIFIER LA SANTÉ MENTALE DES ENFANTS ET DES JEUNES

Personne n’est à l’abri de problèmes de santé mentale.

Bien que des efforts substantiels aient été menés, au cours des dernières années, en vue de mieux répondre aux besoins de la clientèle en santé mentale, plusieurs problèmes demeurent toujours criants.

De surcroît, la pandémie a porté un dur coup à la santé mentale de la population. Ses effets négatifs sont indéniables, particulièrement chez les enfants et les jeunes.

L’Institut canadien d’information1 sur la santé estime qu’environ

20 % des jeunes au Canada présentent un trouble mental.

Environ 1,2 million d’enfants et de jeunes au Canada éprouvent des problèmes de santé mentale, soit 10 à 20 % des adolescentes ou adolescents et 28 % des jeunes adultes de 20 à 29 ans.

Dans son rapport publié en février dernier, Statistique Canada indique ce qui suit : « Bien que la santé mentale des jeunes Canadiennes et Canadiens se soit dégradée au cours des dernières années, l’effet de la COVID-19 sur la santé mentale des jeunes a été le plus marqué de tous les groupes d’âge. »

L’équipe de votre magazine Allumez a saisi l’occasion pour demander à la professeure chercheure Vickie Plourde, titulaire de la Chaire de recherche interdisciplinaire sur la santé mentale des enfants et des jeunes de l’Université de Moncton, d’aborder la question et la recherche en cours dans ce domaine.

La santé mentale est plus que l’absence de troubles mentaux

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que la santé mentale est l’un des domaines les plus négligés de la santé publique. Pourtant, la bonne santé mentale d'une population est non seulement essentielle à sa santé globale, mais aussi un levier à son développement économique et social.

La plupart des personnes connaîtront à un moment où l'autre de leur vie un épisode de courte durée ou des problèmes de santé mentale récurrents pouvant faire l’objet d’une intervention. Ces derniers peuvent découler d’une multitude de facteurs : socioéconomiques, biologiques, psychosociaux et environnementaux2.

La santé mentale peut être définie comme un « état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté. »3

Elle est de plus en plus observée sur un continuum allant de « en santé » à « malade » incluant plusieurs dimensions, dont l’humeur, les pensées et attitudes, les comportements et rendement, le sommeil et les changements physiques, ainsi que les comportements de dépendance4. Lorsqu’on parle de troubles mentaux, on fait allusion à des changements sur le plan des pensées, comportements et émotions qui entraînent de la détresse ou des difficultés de fonctionnement au quotidien5.

La santé et le bien-être mentaux sont indispensables pour que l’être humain puisse, au niveau individuel et collectif, penser, ressentir, échanger avec les autres, gagner sa vie et profiter de l’existence. C’est pourquoi la promotion, la protection et le rétablissement de la santé mentale sont des préoccupations centrales pour les personnes, les collectivités et les sociétés partout dans le monde.

Compte tenu de la complexité et de l’omniprésence des problèmes de santé mentale dans nos vies, il est crucial de poursuivre la recherche dans ce domaine, qu’elle soit fondamentale, translationnelle ou clinique6, pour mieux comprendre ce que sont la santé mentale, les troubles mentaux et les soins optimaux et appropriés à la personne.

Approfondir la recherche en santé mentale pour favoriser une meilleure compréhension et des pratiques optimales

La recherche chez les enfants et les jeunes (période qui s’étend de la naissance à 24 ans) est primordiale. Il faut comprendre que la majorité des troubles mentaux (60 à 75 %) débute avant l’âge de 25 ans et un premier diagnostic durant l’adolescence prédit un risque plus élevé de difficultés chroniques en comparaison à un diagnostic à un âge plus avancé7. Les diagnostics communs à cet âge incluent les troubles anxieux, dépressifs et de comportement ainsi que le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité8.

Les données de l’indice canadien de bien-être

chez les enfants et les jeunes indiquent qu’environ

une jeune personne sur trois

présente des symptômes de détresse psychologique chaque semaine

un enfant sur quatre

se sent triste ou désespéré pendant une longue période9

Dans leur ensemble, ces données soulignent le nombre significatif d’enfants et de jeunes confrontés à des défis en ce qui a trait à leur santé mentale. De surcroît, depuis le début de la pandémie, il semble y avoir de plus grandes demandes et utilisation de services en santé mentale (l’accès rapide étant déjà difficile au Nouveau-Brunswick avant la pandémie10), ainsi qu’une plus grande détresse psychologique chez plusieurs enfants et jeunes au Canada, particulièrement ceux déjà confrontés à des inégalités socio-économiques ou composant avec des problèmes de santé et des conditions médicales complexes11.

Il est donc primordial de poursuivre la recherche pour mieux comprendre quels sont les mécanismes et les stratégies pouvant prévenir ou réduire l’apparition de défis sur le plan de la santé mentale dès l’enfance. En cette période de pandémie, la recherche est d’autant plus importante pour déterminer des facteurs pouvant mitiger l’impact des stresseurs liés à la COVID-19, et créer et tester des interventions pouvant contribuer à l’ajustement des enfants et des jeunes à travers les multiples changements encourus et à venir12.

Domaines prioritaires pour la recherche sur la santé mentale des enfants et des jeunes

Plusieurs groupes de personnes – regroupant entre autres des jeunes ayant vécu des défis sur le plan de la santé mentale, des parents, des professionnels de la santé et des chercheurs – ont proposé entre 2017 et 2019 des domaines clés pour la recherche en santé mentale des enfants et des jeunes à l’échelle internationale13. Cet exercice a permis, entre autres, de préciser où se situent les besoins et où les efforts devraient être concentrés pour augmenter l’applicabilité et la pertinence des recherches futures.

Bien que non exhaustif, les éléments suivants présentent un aperçu de thèmes fréquemment soulevés et des exemples de questions de recherche pouvant y être attachés.

Thème

Déterminer les facteurs pouvant contribuer à la santé mentale ou réduire l’apparition et le maintien de problèmes de santé mentale

Questions de recherche

Quel est le rôle des facteurs biologiques et de l’environnement familial et social sur le développement de problèmes de santé mentale?

Comment les attitudes des jeunes ou des parents vis-à-vis la santé mentale peuvent-elles influencer la santé mentale ou la recherche d’aide?

Thème

Concevoir des méthodes de dépistage des problèmes en santé mentale

Questions de recherche

Quels sont des outils pouvant aider les parents, les enseignants et les jeunes à détecter les problèmes de santé mentale chez eux et autrui?

Comment le niveau de connaissances en santé mentale peut-il contribuer à identifier plus tôt les enfants et jeunes à risque de développer des problèmes de santé mentale?

Thème

Tester la mise en œuvre et l’efficacité d’interventions

Questions de recherche

Quelles sont les perceptions des jeunes vis-à-vis les interventions en santé mentale et leur incidence sur l’efficacité des interventions?

Comment adapter au contexte de la pandémie des interventions offertes auprès des familles pour la gestion du stress?

Thème

Évaluer les services en santé mentale et leur modèle de prestation

Questions de recherche

Quelles sont les pratiques gagnantes pour favoriser une expérience positive et la collaboration du jeune et de la famille dans les services?

Comment augmenter l’accès à des services de santé mentale intégrés, de qualité et adaptés aux enfants et aux jeunes?

À noter qu’une attention particulière doit être accordée à certains facteurs transversaux afin de les considérer à l’intérieur de chaque thème. Ceci inclut notamment le milieu de vie de l’enfant (ex., école, maison, collectivité et santé mentale de l’entourage de l’enfant), la diversité culturelle et linguistique et la diversité sexuelle et de genre ainsi que les questions d’ordre structurel (telles que la pauvreté, le racisme, le stigmate et la discrimination), facteurs qui ont avantage à être considérés dans la recherche pour s’assurer que les connaissances générées tiennent compte du contexte plus large dans lequel vivent les personnes et y soient généralisables14. Dans le même sens, la mobilisation active des enfants, des jeunes, des familles et des intervenants dans la recherche (que ce soit pour déterminer la question de recherche et les outils utilisés, pour interpréter et mettre en pratique les résultats et les méthodes de transfert des connaissances – voir la figure ci-dessous qui illustre le cycle de la recherche et l’application des connaissances) et une approche interdisciplinaire sont à privilégier pour que la recherche puisse bien répondre aux besoins de la population ciblée15.

Chaire de recherche interdisciplinaire sur la santé mentale des enfants et des jeunes de l’Université de Moncton

La Chaire de recherche interdisciplinaire sur la santé mentale des enfants et des jeunes de l’Université de Moncton a été créée en 2016 grâce à la mobilisation de plusieurs partenaires, dont l’Université de Moncton, le Centre de formation médicale du Nouveau-Brunswick, le Bureau du Défenseur des enfants et de la jeunesse et le Conseil de la santé du Nouveau-Brunswick.

Son financement repose sur un don privé auquel s’ajoute une contribution de trois partenaires, soit l’Université de Moncton, le Centre de formation médicale du Nouveau-Brunswick et la Fondation de recherche en santé du Nouveau-Brunswick.

Créer un milieu propice à la mise en œuvre de projets de recherche et de collaboration interdisciplinaires, participer à la formation de futurs professionnels et chercheurs, et sensibiliser le public aux enjeux liés à la santé mentale des enfants et des jeunes sont au cœur des objectifs de la Chaire.

Plusieurs projets de recherche sont en cours à l’heure actuelle pour mieux comprendre la santé mentale chez les enfants et les jeunes, et pour évaluer les besoins et les perceptions reliées aux services et aux interventions en santé mentale et l’incidence de services et d’interventions sur l’accès aux soins en santé mentale et le fonctionnement des jeunes16.

Parmi les différents projets, notons le projet ACCESS Esprits ouverts - volet Nouveau-Brunswick visant à déterminer, implanter et évaluer des changements dans les services de santé mentale pour les jeunes au Nouveau-Brunswick, ainsi qu’un projet d’évaluation d’une initiative de pédiatrie sociale communautaire à Memramcook et dans le comté de Kent. D’autres projets sont en cours entre autres pour mieux comprendre comment les enfants et les jeunes perçoivent la santé mentale et s’il existe des liens entre ces représentations et le bien-être.

collaboration

Dans sa volonté de participer à la formation d’une relève scientifique en santé mentale des enfants et des jeunes au Nouveau-Brunswick, la Chaire accueille et collabore avec des étudiantes et étudiants de l’École de psychologie à différents projets.

Deux étudiantes, nouvellement diplômées du baccalauréat ès arts avec spécialisation en psychologie, ont effectué leur mémoire de fin de programme sur des thèmes liés à la santé mentale des enfants et des jeunes sous la supervision, entre autres, de la titulaire de la Chaire.

Un secteur sous-financé

Bien que les besoins et les pistes de recherche sur la santé mentale des enfants et des jeunes soient très vastes, force est de constater qu’il existe des lacunes sur le plan du financement de la recherche. Un rapport publié en 202117 met en lumière que sur la scène internationale, le financement de la recherche axée sur les enfants et les jeunes (33 %) est moindre en comparaison avec les adultes (67 %). De plus, le rapport démontre qu’au Canada, l’investissement annuel en recherche sur la santé mentale n’a pas augmenté entre 2015 et 2019, l’investissement est inférieur à plusieurs autres pays et la grande majorité des fonds ont porté sur la recherche fondamentale.

Ces données contrastent fortement avec les besoins en recherche soulignés précédemment et illustrent la nécessité d’augmenter le financement pour les services de santé mentale et la recherche. Cette recommandation a d’ailleurs été soulevée auparavant et particulièrement pour améliorer l’accès aux services des enfants et des jeunes qui présentent un niveau léger à modéré de problèmes en santé mentale18 ou un risque élevé de suicide19, ainsi que pour augmenter la recherche chez cette population dans le contexte de la pandémie.

Par ailleurs, l’écart entre la recherche et la pratique constitue un autre défi de taille. L’illustration ci-dessous démontre le chemin sinueux de l’application de la recherche à la pratique.

Le premier fossé représente la difficulté à transférer les résultats de la recherche fondamentale en science et connaissances cliniques alors que le second fossé souligne les défis à intégrer les résultats de la recherche clinique aux pratiques et décisions cliniques20.

Cet écart recherche-pratique s’observe dans la recherche en santé et également dans la recherche sur la santé mentale des enfants et des jeunes. Cet effet complexe peut s’expliquer en partie par plusieurs barrières, dont de la résistance au changement, un manque de temps, d’argent, de ressources, de connaissances ou d’expertise pour mettre en œuvre de façon efficace de nouvelles pratiques.

Parmi les suggestions proposées21 pour réduire cet écart et encourager les changements de pratique, on retrouve :

Faire participer

activement et de façon éthique les enfants, jeunes, familles et communautés (en respectant leurs droits et leur bien-être22) dans le processus de recherche et de mobilisation des connaissances, afin de s’assurer que la recherche et son transfert soient pertinents et adaptés à leurs réalités.

Planifier

en partenariat avec les patients, chercheurs, cliniciens et décideurs et responsables de politiques comment les résultats de recherche seront diffusés à la population de façon accessible ainsi que transférés sur le terrain et appliqués dans la pratique clinique.

Augmenter

les ressources, réserver du financement, fournir des occasions de formation et développer des postes spécifiques (ex. : spécialiste en mise en œuvre et mobilisation de connaissances) pour permettre ce travail de concertation.

Une mobilisation essentielle

Un travail concerté entre plusieurs acteurs est primordial pour s’attaquer aux nombreux défis et poursuivre de façon durable la recherche innovante en santé mentale des enfants et des jeunes. En plus de la Chaire, plusieurs personnes et groupes de chercheures et chercheurs à l’Université de Moncton poursuivent leur travail pour l’avancement de ce secteur et continuent de nouer des partenariats de recherche et d’application des connaissances avec des jeunes et des familles, des praticiennes et praticiens, et des organismes gouvernementaux et non gouvernementaux . Nous souhaitons qu’une meilleure compréhension et une approche concertée entraîneront des retombées positives sur les pratiques et les politiques, et ce, dans le but ultime de contribuer au bien être de notre société.

Ressources en santé mentale pour jeunes et familles, professionnels et chercheurs

Si vous ou l’un de vos proches avez besoin d’aide, vous retrouverez certaines ressources en consultant :

Les lignes d’écoute suivantes sont à la disposition de la population pour un soutien :

  • CHIMO (Nouveau-Brunswick) au 1-800-667-5005
  • Espoir (peuples autochtones au Canada) au 1-855-242-3310
  • Jeunesse J’écoute au 1-800-668-6868
  • Services de crises du Canada au 1-833-456-4566

Le service 211 NB – une ressource gratuite, bilingue et confidentielle ayant pour but d’aider les gens du Nouveau-Brunswick à s’orienter dans le réseau des services communautaires et sociaux, des services de santé non cliniques et des services gouvernementaux.

Pour une aide immédiate en cas d'urgence, veuillez appeler le 911.

Vickie plourde

Professeure adjointe à l’École de psychologie, psychologue, titulaire de la Chaire de recherche interdisciplinaire sur la santé mentale des enfants et des jeunes de l'Université de Moncton et chercheuse affiliée au Centre de formation médicale du Nouveau-Brunswick, Vickie Plourde a obtenu son doctorat en psychologie clinique à l'Université Laval et un stage postdoctoral en neuropsychologie pédiatrique à l'Université de Calgary.

Elle a développé une expertise en psychologie clinique et neuropsychologie de l’enfant. Ses recherches portent sur le fonctionnement cognitif des enfants et des adolescent(e)s , les perceptions des jeunes vis-à-vis les soins en santé mentale et les stratégies d'évaluation et d'intervention chez les enfants et les adolescent(e)s qui ont des difficultés attentionnelles ou exécutives ou qui se rétablissent d'une commotion cérébrale.

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