Pour une sociolinguistique féministe et queer en Acadie

Isabelle LeBlanc

B.A. MULT. 2006, PH.D. 2019

Sociolinguiste, Isabelle LeBlanc est professeure adjointe au Département d’études françaises, secteur linguistique, de l’Université de Moncton depuis 2019, mais elle entretient un lien étroit avec l’institution depuis plus de vingt ans. Elle a obtenu deux diplômes de l’Université de Moncton : un B.A. multidisciplinaire en 2006, conjointement avec l’Université de Poitiers, et un doctorat en sciences du langage en 2019. Elle a également étudié à l’Université d’Ottawa, d’où elle a obtenu une maîtrise en science politique, ainsi qu’à la University of New York in Prague, à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’Université de Fribourg en Suisse.

Repenser les rapports complexes entre langue et genre

Dans sa thèse de doctorat, Isabelle LeBlanc s’est intéressée aux processus historiques de la construction identitaire des femmes en Acadie et au rôle des idéologies linguistiques dans le déploiement de stéréotypes culturels liés à cette identité de genre.

Les femmes comme groupe social ont été construites, dans le discours traditionnel acadien, comme étant dévouées aux rôles maternels, notamment à la transmission culturelle de la langue.

« Le discours nationaliste sur les femmes et la langue a trop souvent réduit le rôle de la femme à l’espace privé, alors qu’en réalité, les Acadiennes ont contribué de manière considérable au débat public sur le français. »

Selon la professeure-chercheure, l’accès à certaines ressources, dont les bourses France-Acadie, a contribué à libérer et à légitimer la voix des femmes dans les débats publics sur la langue. Ces bourses ont eu un impact énorme sur la transformation du rapport à la langue française des femmes acadiennes. Elles ont permis à celles-ci d’œuvrer à la sauvegarde de la langue autrement que par la seule reproduction biologique, en faisant la promotion de certaines normes linguistiques.

Les femmes ont été bien plus que des « gardiennes de la langue ». Elles ont milité de sorte à promouvoir des normes linguistiques, notamment influencées par la France. Parmi elles se trouvait la fondatrice du Collège Notre-Dame d’Acadie, Jeanne de Valois.

Isabelle LeBlanc est dans le processus d’édition de sa thèse pour la publication d’un livre qui traitera du rôle des femmes dans l’affirmation d’un militantisme langagier en Acadie.

Une diversification des discours et des positionnements

Ses recherches de doctorat ont suscité de nombreux questionnements sur l’hétéronormativité en Acadie. Ce système de pensée permet d’analyser de manière critique cette idée que la société ne s’organiserait qu’à partir des rapports hétérosexuels entre les hommes et les femmes. Cette norme sociale occasionnerait des effets linguistiques majeurs.

Cette réflexion a été le point de départ d’un nouveau projet financé par la Faculté des études supérieures et de la recherche de l’Université de Moncton : « Queerer l’Acadie : Un discours émergeant sur les dynamiques langagières et les dynamiques de genre au Nouveau-Brunswick ».

Ce projet de recherche s’inscrit dans la continuité de ses recherches sociolinguistiques féministes, en parallèle aux recherches sociolinguistiques queers en émergence.

« Ma recherche part de l’idée que l’hétéronormativité est problématique pour une majorité d’individus. Cette domination nuit à toute la société, mais la lutte contre celle-ci a été principalement menée par les femmes et les minorités de genre. »

Isabelle leblanc

Pour Isabelle LeBlanc, il est primordial d’examiner le militantisme langagier en contexte. Et le contexte sociopolitique canadien est en pleine transformation en ce qui concerne la légitimation des identités de genre non-binaires depuis moins de dix ans.

Ainsi, le premier volet de sa recherche documente les récits de vie d’une trentaine de personnes qui s’identifient comme appartenant ou participant à la communauté LGBTQ2+ en Acadie. Pour réaliser cette ethnographie, la professeure-chercheure s’est entourée d’auxiliaires de recherche appartenant à la communauté étudiante LGBTQ2+ ou participant activement à cette communauté.

La chercheure estime que le sens véhiculé par le discours des personnes qui vivent de multiples minorisations et marginalisations nous oblige à penser à la complexité des intersections entre l’identité francophone et l’identité queer. À cet égard, la revendication des pronoms non-binaires tels que iel, al, ul, ol permet de visibiliser l'existence de cette communauté, tout en soulignant le fait qu'il existe plus qu'un seul choix de pronom selon les préférences des individus et selon les contextes.

Le deuxième volet de ce projet de recherche examinera le potentiel émancipateur de l'activisme langagier queer dans la fabrique de nouvelles normes.

Les femmes et la mémoire collective acadienne

Toujours dans une volonté de déconstruire l’hétéronormativité et de contribuer à une meilleure compréhension du rôle des femmes dans la mémoire collective acadienne, Isabelle LeBlanc fait aussi partie du Groupe de recherche sur les archives et les femmes en Acadie (GRAFA), qu’elle a cofondé. Elle agit d’ailleurs comme responsable scientifique de ce groupe de recherche qui fait figure de proue à l’Université de Moncton, dans le développement d’une nouvelle thématique interdisciplinaire de recherche dans le domaine des études acadiennes : celui des études critiques sur la mémoire collective.

Selon Isabelle LeBlanc, le GRAFA contribue à l’émergence d’une approche interdisciplinaire en Acadie, en examinant différemment les archives et les collections folkloriques, matérielles et immatérielles en études acadiennes par le prisme des voix de femmes, afin de repenser les rapports de genre en études acadiennes.

À cet effet, la professeure LeBlanc a signé un article fort intéressant sur les femmes dans la mémoire collective acadienne.

Grâce à une subvention de l’Acfas, elle effectuera, au cours des trois prochaines années, une série de séjours de recherche au Centre de recherche en civilisation canadienne-française de l’Université d’Ottawa, afin d’explorer des fonds d’archives et de consolider les collaborations entre les deux universités.

Elle est membre de l’équipe du projet de recherche « Repenser l’Acadie dans le monde : études comparées, études transnationales » financé par le CRSH et mené par l’Institut d’études acadiennes de l’Université de Moncton et l’Observatoire Nord/ Sud de l’Université Sainte-Anne.

Au cours de la dernière année, la professeure LeBlanc a dirigé un numéro thématique sur les femmes et les archives dans la revue Port Acadie intitulé : « Regards critiques croisés sur les femmes et les archives au Canada », avec une contribution de 13 personnes issues de différentes disciplines.

Direction intérimaire de l’Institut d’études acadiennes

À partir de juin, la professeure-chercheure sera à la barre de l’Institut d’études acadiennes pour une année. Elle se réjouit de ce nouveau défi professionnel.

« J’y vois là une magnifique occasion de décloisonner ce secteur et de favoriser un brassage d’idées pour qu’on ne s’arrête pas sur ce qu’on pense que sont les études acadiennes, mais sur ce qu’elles peuvent être dans un contexte de complexité contemporaine. Il est essentiel de réfléchir à certaines intersections qui ne sont pas toujours explorer dans ce domaine d’études. »

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