Yves brun, Ph. D.
récipiendaire de l'Ordre du mérite 2022
B.Sc. 1983; M.Sc. 1985
L’alUMni est fière d’avoir remis l’Ordre du mérite 2022 à l’éminent microbiologiste, Yves Brun, un diplômé dont le parcours et les réalisations professionnelles impressionnent à plusieurs égards.
Sommité dans le domaine de la biologie cellulaire bactérienne, Yves Brun est professeur et titulaire de la prestigieuse Chaire de recherche Canada 150 en biologie cellulaire bactérienne à l'Université de Montréal. En 2021, il est devenu membre de la Société royale du Canada.
Ses travaux de recherche et les découvertes qu’il a réalisés ont contribué grandement à l’avancement de sa discipline et sont à l’origine de grandes avancées dans la lutte contre la résistance des bactéries aux antibiotiques.
Le chercheur originaire de Bas-Cap-Pelé, dans le sud-est du Nouveau-Brunswick, a contribué de manière importante à plusieurs domaines de la microbiologie en utilisant une approche multidisciplinaire et en développant souvent des outils transformateurs. En témoigne sa méthode d’observation inédite au microscope qu’ont adoptée de nombreux scientifiques aux quatre coins du monde, que ce soit pour étudier les mécanismes de base de croissance des micro-organismes, comprendre le mode d’action de certains antibiotiques ou essayer d’en découvrir de nouveaux.
Microbiologiste de renom et primé, auteur prolifique, conférencier prisé, mentor recherché, Yves Brun est également un communicateur et un vulgarisateur hors pair qui croit à l’importance de partager les découvertes scientifiques avec le grand public.
Vous avez reçu au cours de votre carrière plusieurs distinctions honorifiques mettant en lumière vos réalisations professionnelles remarquables. Qu’est-ce que cela représente pour vous de recevoir l’Ordre du mérite de l’Université de Moncton?
Même si je n’y vis plus depuis que je suis parti faire mon doctorat à l’Université Laval en 1985, l’Acadie est très importante pour moi. J’y passe du temps chaque été, au chalet que mes parents ont construit aux Trois-Ruisseaux. Ça fait toujours énormément plaisir d’être reconnu par les siens! C’est tout un honneur de voir mon nom à côté de tant de noms que j’ai entendus dans ma jeunesse. Ce genre de reconnaissance est aussi très important pour les jeunes. Quand j’étais jeune, je ne connaissais personne de par chez nous qui avait fait carrière en recherche. Des modèles d’écrivains, d’artistes ou de sportifs, il y en avait plein. Donc, si ma reconnaissance pouvait aider à une jeune chercheuse ou un jeune chercheur en herbe à voir que c’est possible d’y faire carrière et d’avoir du succès, ça me ferait énormément plaisir. Je suis aussi très heureux d’avoir été reconnu en même temps que l’ingénieure Cloé Doucet qui a reçu le prix Émergence. Il y a encore moins de modèles féminins en sciences et il est important de parler de leurs succès.
Vous souvenez-vous de la première fois que vous avez utilisé un microscope ? D’où vous vient cette passion pour les sciences?
Est-ce que votre décision d’étudier dans le domaine des sciences a toujours été une évidence?
J’ai longtemps hésité entre la littérature et les sciences. Je lisais beaucoup sur les sciences. Quand nous allions à Moncton et que nous allions à la Place Champlain, j’allais à la Librairie Acadienne où je me dirigeais directement à la section sciences et je pouvais y passer une heure à y feuilleter les livres. À l’école primaire quand le bibliobus passait (il n’y avait pas de bibliothèque), j’empruntais toujours des livres sur les sciences. Puis, j’ai demandé et reçu plein de cadeaux de Noël scientifiques : un microscope, un kit de chimie, puis d’optique, puis d’électronique. Mais, j’aimais aussi beaucoup la littérature et au secondaire je lisais et écrivais beaucoup de poésie. J’ai même remporté un prix provincial de poésie. J’ai quand même opté pour les sciences et je me suis inscrit au Diplôme en sciences de la santé pour éventuellement devenir médecin parce que c’était ce que je connaissais; c’est aussi ce que l’orienteur m’avait conseillé. Mais, pendant ma première année, je me suis beaucoup demandé si j’avais fait le bon choix. Je me souviens d’avoir parlé de mon incertitude avec mon professeur de journalisme écrit, Gérard Étienne. Il m’a dit que si je devenais chercheur, je pourrais toujours écrire, mais pas vice versa. Ça m’a marqué! Cette année-là, j’ai aussi découvert l’existence du baccalauréat en biochimie et réalisé que je n’aurais pas besoin d’aller en médecine pour atteindre mon but, donc j’ai changé de programme.
De quelles façons vos années d’études à l’Université de Moncton ont influencé le reste de votre parcours professionnel?
Mes études à l’Université de Moncton ont été importantes à plusieurs niveaux. J’ai beaucoup apprécié le contact que nous avions avec le corps professoral. Ayant été professeur dans deux universités de plus de 50 000 étudiantes et étudiants, je sais très bien que la majorité d’entre eux n’ont jamais discuté avec leurs professeurs. Ils n’ont pas l’occasion de profiter de leurs connaissances et expériences de façon informelle. C’est aussi à l’Université de Moncton que j’ai eu ma première expérience de recherche avec Alan Fraser. J’ai aidé deux étudiants de la maitrise dans leur recherche. Ce fut révélateur!
Ayant beaucoup aimé mon expérience de recherche d’été, j’ai continué avec une « thèse d’honneur » (honors thesis) où on développe un projet de recherche pendant l’année académique. J’adorais avoir ma place dans la salle de bureaux du laboratoire de recherche, c’est aussi là que je faisais mes devoirs et que j’étudiais. Mais c’est aussi là qu’on discutait et qu’on s’amusait entre étudiants. Donc, non seulement j’ai eu une formation solide et j’ai appris à faire de la recherche, mais j’ai aussi beaucoup grandi comme personne à l’Université de Moncton.
Les 30 dernières années de votre vie professionnelle ont été consacrées à la recherche fondamentale sur les bactéries. Qu’ont-elles qui vous fascine autant ?
C'est quand même ironique, comme j’ai suivi un seul cours de microbiologie à l’université et je n’ai pas aimé ça du tout! Les sujets de prédilection d’un chercheur sont un peu le fruit du hasard. Les laboratoires où j’ai étudié utilisaient les bactéries pour essayer de comprendre les mécanismes fondamentaux du vivant. J’ai rapidement apprécié les avantages multiples de ces organismes pour étudier les mécanismes en profondeur. Petit à petit, j’ai commencé à m’intéresser aux bactéries elles-mêmes pour leurs propriétés fascinantes, que j’ai découvertes dans les congrès scientifiques et en enseignant. Les bactéries sont les êtres vivants avec le plus de diversité. Elles peuvent survivre partout sur terre, autant dans l’Arctique que dans des sources chaudes de 80˚C ou dans des environnements où il n’y a presque pas de substances nutritives. Ce sont les bactéries qui ont été à l’origine de l’oxygène sur terre il y a des milliards d’années. Certaines portent leur propre boussole pour s’orienter, d’autres peuvent conduire l’électricité. L’une des espèces que nous étudions produit un adhésif plus fort que les colles industrielles les plus fortes. Elles aident à notre digestion et jouent plusieurs rôles dans notre corps pour nous garder en santé. En fait, c’est une infime partie des bactéries qui nous rendent malade. C’est vraiment leur diversité qui me fascine le plus, avec les mécanismes de leurs propriétés et leur évolution.
La résistance des bactéries aux antibiotiques est-elle un phénomène inquiétant?
Pas seulement inquiétant mais très grave. Les bactéries antibiorésistantes ne sont pas affectées par un ou plusieurs antibiotiques, ce qui diminue énormément les possibilités de traitement pour ces infections. Il y a même des bactéries pathogènes qui sont résistantes à tous les antibiotiques dont nous disposons, donc si elles nous infectent... En 2019, les bactéries antibiorésistantes ont causé plus de morts dans le monde que la COVID en 2020-2021! On prévoit que si rien ne change, les bactéries antibiorésistantes causeront la mort de 10 millions de personnes dans le monde en 2050.
L’une de vos découvertes a même fait l’objet d’un article dans le Livre Guinness des records
En 2006 nous avons montré que la bactérie sur laquelle nous faisons le plus de recherche, Caulobacter crescentus, produit une colle plus forte que les colles industrielles. Nous avons eu énormément d’intérêt des médias parce que c’est surprenant. En fait, beaucoup d’organismes vivants produisent des adhésifs, on a qu’à penser aux moules de nos côtes ou aux araignées. Nous continuons à étudier les propriétés de la colle de Caulobacter parce que c’est fascinant. Peut-être qu’un jour il y aura des applications, on ne sait jamais, mais pour l’instant nous sommes tout simplement curieux de savoir quels sont les principes qui en font une colle si forte. Et comment la bactérie sait quand c’est le moment de produire la colle quand elle contacte une surface. Une bactérie n’a pas de système nerveux, comment fait-elle pour avoir un sens du toucher? C’est une question fascinante qui nous a menés à l’une de nos découvertes dont je suis le plus fier.
Vous avez été professeur-chercheur à l’Université de l’Indiana pendant 26 ans. Que retenez-vous de votre expérience américaine?
J’ai adoré mon séjour à l’Université de l’Indiana. IU est dans une petite ville collégiale typique des États-Unis, ce qu’ils appellent un « college town » à cause de l’importance de l’université pour la vie et l’économie locale. Quand je suis arrivé, les effectifs du programme de microbiologie au Département de biologie avaient beaucoup diminué au cours des années précédentes, un peu parce que des domaines plus « populaires » à l’époque avaient recruté plus de professeurs. Un collègue et moi avons réussi à convaincre le reste du Département de rebâtir le programme de microbiologie et au cours des années nous en avons fait l’un des meilleurs programmes de microbiologie fondamentale au pays, voire au monde. Ce qui m’a impressionné pendant ce processus c’est la flexibilité et les moyens quand on décidait de bâtir quelque chose. C’est la fameuse « can do attitude ». C’est aussi à l’Université de l’Indiana que j’ai rencontré une Québécoise qui est devenue ma femme, Julie Auger. Donc, je retiens aussi beaucoup de bonheur de mon expérience américaine!
En 2019, vous êtes devenu titulaire de l’une des prestigieuses chaires de recherche Canada 150, dotée d'un budget total de sept millions de dollars sur sept ans. Qu’est-ce que cela représente dans votre parcours professionnel et quel est l’objet de votre recherche avec cet important financement?
C’est une belle reconnaissance des contributions de mon équipe de recherche au cours des années et une opportunité incroyable. C’est presque 50 % de plus que les fonds de recherche que j’avais aux États-Unis. Cette stabilité sur sept ans nous permet aussi d’essayer des projets prometteurs mais, plus risqués. Nous poursuivons les mêmes projets de recherche fondamentale, car on ne veut quand même pas abandonner une recette qui a bien marché pendant 26 ans. Ce sont des projets qui nous passionnent sur l’adhésion des bactéries aux surfaces, la formation de biofilms, la croissance et la forme des bactéries et l’organisation des cellules. Nous avons aussi initié un projet ambitieux sur la découverte de nouveaux antibiotiques en combinant microscopie et intelligence artificielle. J’espère que nous allons trouver des molécules avec un bon potentiel antibiotique et avec de nouveaux mécanismes d’action. Même si cela ne se produit pas, il est certain que nous allons avoir des résultats inattendus. J’adore les surprises en recherche. Certaines de nos plus belles découvertes ont commencé par : « Tiens, c’est bizarrre… ».
Au-delà du cadre universitaire, vous êtes reconnu comme un excellent vulgarisateur et communicateur. Pourquoi est-ce si important pour vous de partager votre savoir scientifique avec le grand public et plus particulièrement avec des jeunes?
En fait, ce n’est pas autant mon savoir que la beauté de la nature et le processus scientifique qui nous permet de l’appréhender encore mieux que je veux transmettre. Je trouve que la science et les arts ont beaucoup en commun, mais on pense souvent que les sciences sont arides parce qu’elles sont systématiques. Ce qu’ils ont en commun c’est l’importance de la créativité et de la passion. Ces deux disciplines tentent de décrire des visions et explications du monde, l’une selon l’instinct et les sentiments, l’autre selon des données et des hypothèses testées.
C’est pour ça que j’ai intitulé ma conférence grand public de 2021 « La poésie des bactéries ». J’y ai parlé de la beauté et des propriétés fascinantes des bactéries. Pas celles qui nous rendent malade, de toute façon il s’agit d’une infime minorité, mais des autres, de leur diversité et de pourquoi elles nous passionnent. Je craignais que les gens souffrent d’une fatigue pandémique et ne veuillent plus entendre parler de science et de microbes. J’avais tort, nous avons fait salle comble pendant deux semaines. J’ai été frappé par l’intérêt du public et par les excellentes questions qu’on m’a posées, surtout les jeunes. Dans notre monde moderne, nous sommes constamment confrontés à la science et ses applications. Nous sommes constamment bombardés d’informations de toutes sortes. Il est important d’équiper les gens pour qu’ils puissent évaluer l’information et prendre les bonnes décisions. Nous on le fait chaque jour en recherche, c’est devenu instinctif.
« Ce que j’essaie de transmettre, c’est l’importance de la recherche fondamentale mais aussi que la recherche est une carrière passionnante qui fait constamment appel au travail d’équipe, loin du portrait des chercheurs solitaires. » Yves Brun
Il y a un discours sur la place publique qui remet en question la science et son rôle. La pandémie a mis en évidence cette résistance à l’évidence scientifique et on pourrait même attester qu’il existe une certaine tentative de légitimiser ce discours antiscience. Est-ce que cette situation vous préoccupe?
Au début de la pandémie, plusieurs amis m’ont demandé mon opinion au sujet de certains articles ou vidéos qui circulaient. Dans la très grande majorité des cas, j’ai tout de suite vu qu’il s’agissait de désinformation. Parce qu’on a tellement l’habitude d’évaluer la fiabilité des sources d’information en recherche et de voir si les arguments se tiennent. Ce qui m’a fasciné c’est qu’il s’agissait rarement d’une mauvaise interprétation des résultats de la recherche dont nous avons été bombardés dès le début, mais de manipulation malhonnête pure et simple de la part de personnes qui ont des objectifs cachés et/ou qui font de l’argent en misant sur la crédulité des gens. Et je ne blâme pas les gens qui tombent dans le panneau. C’est difficile de se faire une idée avec tellement d’informations qui semblent contradictoires. Je recommande fortement le site de l’Agence Science-Presse et son Détecteur de rumeurs qui fait un travail admirable pour lutter contre la désinformation liée aux sciences.
Ce qui est le plus difficile à comprendre pour le public, c’est que les conclusions de la science changent parfois. Et certains disent qu’on ne peut donc rien croire. En fait, les conclusions peuvent parfois changer quand on a plus de données ou de meilleures données. C’est ce qui fait le succès de la science, elle utilise les meilleures données pour conclure. Et je préfère faire confiance aux données qu’aux « feelings ».
C’est pour toutes ces raisons que je viens de commencer des discussions avec des artistes pour préparer une nouvelle conférence pour parler de la méthode scientifique et de connaissances, mais d’une façon stimulante pour le public. J’aime beaucoup l’idée d’impliquer des artistes dès le début de la réflexion parce qu’ils ont un regard différent et ont l’habitude de transmettre des informations et des émotions de différentes façons.